par Jeanne-A Debats
Il y a des soirs où l’univers décide de tester vos capacités d’improvisation et d’adaptation.
16h, H moins 3h. Douze invités prévus à table, je me lance dans l’opération « mise en sécurité féline» : Hyrcki au garage, Misha et Flow à la salle de bain, reste Tim à rabattre dans la chambre avec Socquettes. C’est que nos chats n’aiment pas les étrangers et comme mon arrière grand-père jadis à ses enfants « et j’entends par étrangers, tout ce qui n’est pas ta mère et moi ».
Pas de Tim, le fourbe sentant le vent, a profité des affolements divers de tous et toutes pour filer dehors. Je sors, j’agite le paquet de croquettes, frrr frrr, persuadée que Tim va pointer son museau… et à la place surgit quelqu’un d’autre.
PAS.DU.TOUT.PRÉVU.AU.PROGRAMME.
Le genre de mini-serpillière à pattes, toute propre, avec un nez en bouton de bottines et des yeux façon “Tu m’auras adopté avant même que tu comprennes que je t’ai eue”, c’est un bichon maltais, peut-être., L’évadé de la planète des Peluches Trognonnes s’avance vers les croquettes et moi l’air de dire : “j’en veux bien moi, des croquettes. ”. Mais non, c’est une ruse !
L’évadé ne veut pas de croquettes, juste conquérir nos tapis et squatter nos caresses ; un bol d’eau, trois bouchées par politesse et, il entreprend ex abrupto de séduire la border collie. En deux minutes, il a déjà compris que, dans une maison envahie de chats outrés, la chienne était la bonne alliée à cultiver.
Personne sur la route. Pas un maître affolé qui cherche son chien. Pas de trace de bouillasse sur son poil, pourtant sec et toiletté alors qu’il a plu sa mère en kilt toute la matinée. Pas affamé non plus, pas assoiffé. Pas maltraité, il obéit facilement, sans la bassesse terrifiée des chiens qu’on frappe pour les faire obéir. Quelqu’un a mis du temps, de la patience et de l’amour dans son éducation. Il reste simplement là, comme un cadeau encombrant et irrésistible, déposé à seize heures un soir de dîner.
OK, inutile de poster « Houston, nous avons un problème », il faut gérer. Le bichon devient Joker ( parce qu’il débarque sans invitation à la fiesta comme son homonyme et que clairement, il veut dominer Gotham). Pendant que nous jonglons entre les casseroles et les convives, lui s’installe déjà comme s’il avait toujours été là. On dirait une boule de sucre glace qui marche toute seule, ou un chausson en peluche qui s’est découvert une vocation de chien. La border collie est conquise. Les chats font mine d’ignorer, mais je les connais : ils enregistrent tout, ils me jugent et me condamnent.
Le lendemain, direction vétérinaire. Pas de puces, pas de tatouage, pas de puce électronique non plus. Le vétérinaire note mon nom, et à la mairie ils prennent sa photo pour l’afficher. Je fais le tour des voisins, qui ricanent un peu parce que qui a un chien de ville dans le coin ? -Dans quelques jours, quelqu’un d’une association viendra le chercher.
Et déjà, mon cœur fait ce qu’il fait toujours avec les cabossés : il ramasse. Les enfants perdus, les chiens échoués, ceux qui se glissent dans ton quotidien par la petite porte de la tendresse.
Je sais bien que si ses vrais humains se manifestaient, je le leur rendrais sans l’ombre d’un regret et avec un total soulagement. Mais si c’est une asso qui vient, si c’est un inconnu, alors ce ne sera pas pareil. Parce que Joker, avec ses airs de fantôme de machine à laver option essorage à 18, a déjà trouvé sa place dans la maison et comme son terrible homonyme, les combinaisons de mon coffre-fort affectif n’ont aucun secret pour lui.
Et force m’est de constater que les chiens ne faisant pas des chats, je deviens chaque jour un peu plus ma mère qui accueillait la misère animale et humaine avec une porte également toujours ouverte. Elle est morte il y presque 6 ans déjà, date anniversaire dans 15 jours, et il faut bien que quelqu’un s’y mette.
